Sortir le sacerdoce des Églises
Par Jeanne du Mont
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Le sacerdoce est un ministère spirituel essentiel. Selon les très anciens écrits, ce service a d’abord été l’apanage de personnes inspirées et inspirantes ‒ des gens que leur entourage reconnaissait comme tel. Mais très vite, on a voulu monnayer ou encadrer ce service rendu à l’humanité. On en a fait le privilège d’une famille en particulier (exemple : les descendants de Lévi dans le judaïsme) ou d’une caste choisie où seuls sont admis ceux qui ont un certain niveau d’érudition ou tel et tel parcours initiatique décrété par les dirigeants religieux. Et neuf fois sur dix, les femmes sont exclues de ce ministère sacerdotal. Comme bien des choses ici-bas, les plus nobles intuitions spirituelles peuvent se gâter avec le temps : dommage, car on a beaucoup perdu au change.
Quand les autorités religieuses ont, d’abord, pris le contrôle du sacerdoce, puis mis progressivement de côté certaines de ses caractéristiques essentielles, on a entamé un virage qui a vite dégénéré. Mais quelles sont ces caractéristiques essentielles perdues en route ? La gratuité du service, la nécessaire et lente maturation spirituelle qui rend apte au sacerdoce, l’absolue nécessité d’être tout à fait libre face à toute institution politique ou religieuse afin de pouvoir exercer dignement son sacerdoce. On a fait d’une haute fonction spirituelle un petit fonctionnariat étroit, dépendant de l’autorité et exclusif à une minorité d’humains. Une succession de fautes graves a fait du sacerdoce un concentrat[1] de scories, un ersatz[2] sans saveur, plutôt que le vin nouveau et délicieux qu’il devait d’abord être en son essence : une immense perte pour l’humanité, un effondrement hautement dommageable, un précipice sous nos pieds. « Frappez le berger et les brebis du troupeau seront dispersées », disent les Écritures (Zacharie chapitre 13,7).
Il nous faut donc retourner aux sources, retrouver l’esprit sacerdotal des origines et reprendre en main ce que les institutions religieuses nous avaient subtilisé. Il fut un temps, à l’époque des Juges, où une famille pouvait bâtir son propre sanctuaire, donner l’investiture à un desservant[3] de son choix et rendre là un culte agréable à Dieu (lire Juges, chapitre 17). Cette période florissante de l’histoire du judaïsme a été suivie de l’époque des Rois, où l’on a construit un très grand temple et organisé de façon de plus en plus stricte le sacerdoce. Le christianisme a suivi une « évolution » similaire… Le Christ avait simplement confié à quelques-uns de ses proches une mission d’enseignement et de guérison, mais trois siècles plus tard, une institution soutenue par l’État a progressivement pris le contrôle de la mission et des envoyés de Dieu et a tout structuré à sa manière. Elle a interdit aux femmes l’accès aux ministères (elles qui jouaient pourtant le rôle de cheffes de communauté aux premiers temps de l’Église), puis l’a interdit partiellement aux hommes mariés (vers l’an 1000). Elle a cadastré le territoire en fiefs (nommés paroisses et diocèses), fixé le montant de la contribution des fidèles, écrit un code de lois (le droit canonique), institué des tribunaux ecclésiastiques, etc. Ces institutions ont rendu toujours plus étroit le chemin de liberté spirituelle dévolu aux croyant·e·s.
N’est-il pas grand temps de réinventer un sacerdoce libre de droits et en marge des institutions ecclésiales ? Ce sacerdoce s’exercera au sein des familles et n’aura de compte à rendre qu’à Dieu seul (c’est déjà tout un programme !) en vue de l’épanouissement et de la croissance spirituelle de ceux et celles qui comptent sur le ministère des desservant·e·s.
[1] Concentrat : Dans les techniques industrielles et l’industrie de l’alimentation, mot qui désigne le fluide contenant les substances retenues par les membranes de filtration.
[2] Ersatz : Produit de consommation destiné à remplacer un produit naturel devenu rare ; succédané ; imitation médiocre.
[3] Desservant·e : terme qui remplace le mot « prêtre » dans la version de l’Ancien Testament d’André Chouraqui.