Élargir sa conscience
Par JOHANE FILIATRAULT
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Vous arrive-t-il de vous percevoir soudainement en lieu et place de ce vieil homme sans abri – il n’a peut-être que soixante ans, en fait, mais en paraît quatre-vingt, les ravages de l’isolement burinant son visage –, ou de cette jeune maman, migrante désespérée, ses petits à ses jupes, le regard inquiet, où on lit aisément les humiliations subies, les violences endurées ?
Il y a l’autre point de vue, bien sûr, celui des forces de l’ordre et des services frontaliers qui doivent composer avec ceux que l’on pourrait qualifier « d’envahisseurs de notre tranquillité publique ». Fermer les yeux pour ne pas voir le problème, ou critiquer sévèrement ces trouble-fêtes, semblent deux attitudes justifiées de notre part, simples citoyens que nous sommes. N’a-t-on pas, après tout, chacun notre lot de problèmes à gérer? Et puis d’ailleurs, que pourrait-on changer à de telles situations, complètement hors de notre contrôle ? Régler ce genre de crise ne relève pas de notre pouvoir, en effet.
Accueillir ces gens, ne serait-ce que dans notre mental, est cependant un excellent début de solution : élargir notre conscience pour ne pas nous piéger nous-même dans des jugements préconçus et souvent méprisants envers des êtres fragilisés par des drames inhumains, nous mettre simplement à la place de l’autre en nous posant la question « Comment je me sentirais, moi, au cœur de telles tragédies ? ». Nous serons dès lors surpris de la quantité de petits gestes, souvent tout à fait gratuits, qui sont à notre portée, que l’on pourrait poser jour après jour avec un minimum de courage et qui, oui, feront une différence dans la vie d’un-e immigrant-e ou d’un-e sans-abri.
Le maire de Québec faisait récemment une sortie publique pour dire qu’il était prêt à accueillir une grande quantité de nouveaux arrivants pour combler les très nombreux emplois laissés vacants dans sa ville, des postes dont les Québécois ne veulent plus pour toutes sortes de raisons. Vu sous cet angle, ne devrions-nous pas accueillir à bras ouverts ceux et celles qui fuient des conditions de vie intenables et qui cherchent un mieux vivre, prêts à commencer en bas de l’échelle pour réussir ?
Un petit exercice de mémoire nous aidera, en outre, à nous rappeler nos ancêtres, ces migrant-es courageux qui ont quitté leur monde connu dans l’espoir de léguer un avenir à leurs enfants. Quelle est la différence entre nos ancêtres et ces immigrant-es modernes ? En voyez-vous une ? Et que ressentent ces exclu-es de notre temps quand ils sentent nos regards peser sur eux ?
« Et si c’était moi ? » : se prêter régulièrement à cet exercice nous grandit, nous rend plus humain-e, moins prompt-e à juger. Critiquer à droite et à gauche et poser des jugements sans fondements me semble être devenu une pratique beaucoup trop répandue, au Québec, une pratique qui risque vite de devenir un facteur de destruction massive. Une conscience élargie, au contraire, tend à être un phare pour le monde. Choisissons notre camp !