Un poète si peu connu
Par Rachel Filiatrault
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Alain Grandbois (1900-1975) poète Québécois
Grand voyageur et passionné de lectures étrangères, il signe Marco Polo (1942) et Avant le chaos (1945). Mais son recueil le plus connu sera sans doute Les îles de la nuit (1944). Suivront Rivages de l’homme (1948) et L’Étoile pourpre (1957). Dans son recueil Les îles de la nuit, on le dit au summum de son art. Il s’agit d’une longue allégorie où se mêlent les forces physiques et psychiques, naturelles et cosmiques. Son thème : le voyage intérieur et spirituel que l’auteur entreprend pour découvrir et explorer son royaume intime et celui du monde. Presqu’à chaque poème reviennent ces symboles, la Femme inaccessible, le Passé mensonger, la Mémoire source d’erreurs, la Solitude, solution et en même temps long cri de détresse, la Mort en tant que délivrance et fin de la douleur. Comme le dit si bien en préface Jacques Breault : […] il s’agit ici de reconnaître ce maître des rivages, ce passeur d’ombre et de solitude, sous les étoiles toujours qu’il regardait, comme à jamais fondues au rouge incendiaire de la poésie. Alain Grandbois, capitaine au long cours, sorcier des brumes et des temps obscures, mais aussi lumière du siècle… des lieux transversaux et indirects qui, de l’amour à l’abandon, de l’angoisse à l’euphorie, viennent donner à nos lettres une présence d’air et de souffle, une autre aspiration conduisant toujours à des cieux ardents, en route vers l’absolu.
Le moins qu’on puisse dire de Grandbois est qu’il est en quête d’absolu et de vastitude et qu’il parcourt avec rigueur et fidélité les dédales de son univers.
Je vous propose aujourd’hui un petit jeu… Je vous livre un poème de Grandbois et vous écrivez l’inverse des éléments de chaque phrase. J’appelle ça l’écriture à l’envers. Il faut bien sûr laisser aller son inconscient et construire des images poétiques. Vous êtes prêts ?
Avec ta robe sur le rocher comme
une aile blanche
Des gouttes au creux de ta main comme
une blessure fraîche
Et toi riant la tête renversée comme un
enfant seul
Avec tes pieds faibles et nus sur la dure
force du rocher
Et tes bras qui t’entourent d’éclairs
nonchalants
Et ton genou rond comme l’île de mon
enfance
Avec tes jeunes seins qu’un chant muet
soulève pour une vaine allégresse
Et les courbes de ton corps plongeant
toutes vers ton frêle secret
Et ce pur mystère que ton sang guette
pour des nuits futures
Ô toi pareille à un rêve déjà perdu
Ô toi pareille à une fiancée morte
Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve
Laisse-moi seulement fermer mes yeux
Laisse-moi seulement poser les paumes
De mes mains sur mes paupières
Laisse-moi ne plus te voir
Pour ne pas voir dans l’épaisseur des ombres
Lentement s’entrouvrir et tourner
Les lourdes portes de l’oubli.
Voici ma version à moi :
Sans ma robe dans l’eau
comme une griffe noire
Des chutes sous tes pieds
comme une blessure morte
Et moi pleurant toute recroquevillée
Une adulte parmi tant d’autres
Avec tes mains fortes et gantées
sur la douce face des galets
Et tes jambes étendues qui s’ouvre de ciel
tranquille et courageux
Et ton coude pointu comme le continent
de ma vieillesse
Sans tes vieux dehors qu’un silence exubérant
repose contre une profonde tristesse
Et les droites de ton esprit remontant
toutes vers ton robuste savoir
Et cette impure évidence que ta lymphe oublie
pour les jours présents
Ô moi autre cauchemar déjà
Ô moi autre pucelle vivante
Ô moi éternel lointain de la mortelle rivière
Ne te laisse pas ouvrir les oreilles
Ne te laisse pas enlever les bras
sur tes vues intérieures
Ne te laisse pas ne plus me voir
Pour regarder dans la légèreté de la lumière
Vite se refermer et retourner
les portes sublimes du savoir.