La violence du Christ

Par Jeanne du Mont

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L’auteur et philosophe français Henri de Monvallier signait récemment dans la revue Le monde des religions un article discutant de certains propos et actes du Christ que l’on pourrait qualifier de « violents ». Il commente ce passage de l’évangile de Marc (11, 15-18) entre autres : « Jésus entre au sanctuaire. (Il fait un fouet avec des cordes, précise Jean dans son évangile). Il commence par jeter les vendeurs et les acheteurs hors du sanctuaire. Il renverse les tables des changeurs et les sièges des vendeurs de colombes. Il ne laisse personne transporter des ustensiles à travers le sanctuaire. » « Cet épisode a davantage l’allure d’une opération de milice musclée que d’une prédication apaisée. Fait aggravant : Hitler cite de façon élogieuse cet épisode dans Mein Kampf(…) », commente H. de Monvallier.

Le Jésus de la Bible a également eu d’autres comportements violents qu’il est bon de mentionner ici.

  • Il invective les stricts observants religieux de son époque, scribes et pharisiens, en les traitant de « sépulcres blanchis » (en mots d’aujourd’hui, on pourrait traduire « cadavres en putréfaction blanchis à la chaux »).
  • Il raconte une parabole qui se termine en ces termes : « Amenez-les ici et égorgez-les devant moi » (Luc 19,27).
  • Il dit « Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est forcé et les violents s’en emparent » (Mathieu 11,12).
  • Il dit « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive » (Mathieu 10,34).

Voici donc le Jésus de l’histoire au banc des accusés. Coupable ou non, ce personnage ? Violent ou doux et humble ?

En fait, pour bien saisir le psychisme de l’accusé, il faut d’abord comprendre à qui s’adresse sa violence. Et l’on constate que quatre des cinq actes ou propos violents cités plus haut s’adressent de façon spécifique aux chefs et dirigeants religieux du temps de Jésus. Qu’est-ce à dire ? Oui, Jésus a eu des attitudes violentes, mais entièrement dirigées à l’encontre de l’élite religieuse fondamentaliste et légaliste de son temps. Et par extension, contre les castes religieuses traditionnalistes et les chefs religieux légalistes de tous les temps. Nuance ! Quant au peuple de ses concitoyens, pas de trace de vindicte envers eux de la part du Christ, au contraire, « toute la foule est frappée par son enseignement » ; elle adhère à ses propos. C’est cette adhésion populaire qui lui vaut d’ailleurs l’ire des prêtres et chefs religieux, jaloux de leurs pouvoirs spirituels, politiques et économiques, et frileux à l’idée de perdre ces pouvoirs.

Par son invective « sépulcres blanchis », Jésus s’élève contre ceux qui prennent une apparence religieuse extérieure mais n’ont pas de vie spirituelle à l’intérieur. De même, dans la parabole citée plus haut, ceux qui doivent être amenés et égorgés en présence du Maître, ce sont ceux à qui ont été confiés ses biens et qui ne les ont pas fait fructifier, ceux-là même qui se déclarent ses serviteurs. Les biens divins étant spirituels, il s’agit donc de ceux qui sont chargés d’administrer ces biens, les responsables religieux et spirituels de toutes sortes. Les « sépulcres blanchis » sont par extension tous ceux et celles qui disent « Seigneur, Seigneur » sans faire la volonté du Père du Ciel, tous ceux et celles qui n’ont que l’apparence de la religion.

Pour ce qui est du royaume des cieux qui « est forcé et dont s’emparent les violents » (Mathieu 11,12), ne discerne-t-on pas là des termes qu’on associerait à des voleurs qui dérobent un bien qui ne leur appartient pas ? Combien de gourous, de prêtres, de prélats, de pasteurs, de preachers, d’imams, de patriarches et d’autres chefs religieux de toutes sortes se comportent effectivement comme des usurpateurs, s’approprient les biens divins, déforment la vérité et ferment les portes du royaume à ceux et celles qui aspirent à y entrer ? Crimes qui, aux yeux du Christ, sont plus graves que tout puisqu’ils mettent en péril la santé spirituelle des êtres humains, bien plus précieuse encore, selon lui, que leur santé physique.

Quant au glaive qu’il dit être venu apporter sur la terre, ne nous méprenons pas ! Jésus fait ici allusion à sa mission profonde, il parle du sens de sa venue sur terre. À plusieurs reprises dans l’Ancien Testament, la parole de vie est comparée à un glaive tranchant, et c’est à ce glaive-là que Jésus fait allusion : il est la Parole, la révélation, celui qui est venu enseigner et dévoiler. On est donc à cent lieues d’une épée guerrière! Comme il l’a dit lui-même, sa mission n’est pas d’apporter la paix : cette mission revient en effet à l’humanité. L’humain enseigné et éclairé par le divin devient un acteur de paix dans le monde. Tel est le sens de Mathieu 10,34.

Quand il a eu chassé les vendeurs et changeurs de monnaie, Jésus a enseigné les croyants présents sur les lieux, ceux et celles qui étaient venus au temple non pas pour s’enrichir matériellement, mais pour s’enrichir spirituellement. Il a mis en garde contre la tentation de faire de la maison de prière une caverne de bandits. Il parlait bien sûr des temples matériels, mais plus encore du temple qu’est notre âme, menacée elle aussi par l’appât du gain et le matérialisme. Et afin de purifier notre âme pour lui rendre sa beauté native, tenons-nous bien ! Il est prêt à la conquérir de haute lutte, à nous déposséder de nos fausses sécurités en usant de violence, s’il le faut.

 

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